Go heroes!
Pub pour Go Sport, vue il y a trois jours vers Les Halles.
Marchez dans la nature, allez à bicyclette, vous serez des héros! C’était déjà le cas avec:
Attention: c’est facile de se moquer.
La semaine dernière, c’était Macron chevalier. Aujourd’hui, les magasins de sport. Tous héros!
Moi aussi j’ai envie de sourire.
Mais ce que j’essaye de montrer dans mes travaux de recherche, c’est que cet esprit héroïque vient de loin. Il se diffuse dans le monde du travail depuis longtemps. Il est à cheval sur les grands mythes du cinéma populaire et sur les conseils de vie en large circulation dans la société, ce qui lui donne toute sa puissance dans notre imaginaire, fût-il inconscient. C’est sur cela que surfent les conseils en communication.
Macron chevalier !
Sur internet, sur les forum de discussion, sur les réseaux sociaux, c’est un raz-de-marée de moqueries ou d’indignations: on se fout de nous! le pouvoir leur monte à la tête! on est dans le pur spectacle! c’est la fin de la politique!
Macron lui-même parle d’erreur à propos de son portrait paru dans Paris Match (14 Avril 2016). Il accable sa femme: “Mon épouse, elle ne connaît pas le système médiatique, elle le regrette d’ailleurs profondément”. Promis: ils, le couple, ne recommenceront pas.
Du point de vue de la matrice du héros, le seul scandale est de traiter cette sortie médiatique comme un phénomène aberrant, un faux pas.
Nous sommes bien plutôt dans la reproduction d’un schème: le discours héroïsé (comme on dirait érotisé) de la modernité.
Macron chevalier, c’est tout sauf un hapax dans la vie politique française. C’est un lieu commun, une figure imposée.
Vous allez me dire: Mais quand même, “chevalier”, faut pas pousser!
Et je vous répondrai: Même chevalier, c’est du courant, du banal, du répété, de l’obligé.
Et je vous indiquerai l’étude d’Emmanuël Souchier, qui, en 1995, montre avec force citations tirées de la presse grand public combien l’imaginaire de la quête chevaleresque pénètre depuis longtemps (déjà!) les campagnes présidentielles en France (E. Souchier, “L’élection présidentielle: démocratie ou chevalerie?”, Communication & Langages, n°105, 1995) (texte intégral ici).
Je vous renverrai vers un livre de 2015, Médiéval et Militant, Penser le contemporain à travers le Moyen Âge, paru aux Publications de la Sorbonne.
Tommaso di Carpegna Falconieri y passe en revue toutes les reprises du Moyen Âge qui imprègnent le monde actuel. Il commente: “A travers cette clé, il s’agit d’examiner les orientations conceptuelles contradictoires d’un monde en crise”.
Alors, il faut bien plutôt penser que Brigitte Macron, en professeure de littérature exercée à l’analyse des textes, a parfaitement bien saisi le texte médiatique. Elle retranscrit un topos. Elle en reproduit la rhétorique. A la limite, on pourra dire que le pastiche est involontaire. Mais pas qu’elle n’a pas compris la musique.
Macron chevalier lui oppose-t-il un démenti public? Rien de plus normal. C’est l’ensemble des deux pièces du puzzle qui est moderne – le chevalier et le mea-culpa. Les deux laissent une trace, en forme de collage, dans l’espace médiatique. Au final, c’est cela le grand art de l’héroïsme moderne: distiller les injonctions paradoxales, confirmant le diagnostic de Falconieri (“les orientations conceptuelles contradictoires d’un monde en crise”).
En réserve, pour plus tard:
- Emmanuel Macron par Brigitte Macron est une mine pour la matrice du héros. Tous les critères de la matrice y sont…
- Exemple: le président potentiel y est présenté comme un “acteur” – ROL.
- Il est “d’une autre planète” – DIV.
- Tous les soirs, le couple “débriefe” leur journée – MIS.
- Etc.
- La journaliste de Paris Match de conclure le portrait: “Un couple d’intellectuels qui mesure mieux que quiconque le poids des mots et, aussi, celui du destin. Ça ne s’invente pas: ils se sont rencontrés dans une institution baptisée La Providence!” Encore un topos qui complexifie sérieusement l’image de notre modernité tardive.
Vargas Llosa et le héros. “On joue les héros parce qu’on est lâche” (Sartre)
Mario Vargas Llosa, Nobel 2010, publie dans La Pleiade. Deux volumes sortent le 24 mars 2016. Il est le premier romancier non Français à entrer de son vivant dans la prestigieuse collection de Gallimard.
Son dernier roman, 2013, affiche le mot “héros” en frontispice: El héroe discreto, Un héros discret, The Discreet Hero.
La figure du héros intéresse Vargas Llosa. Dès son deuxième roman, La ciudad y los perros, La ville et les chiens, paru en 1962, qui lui apporte la célébrité, il donne en exergue cette citation de Jean-Paul Sartre:
“On joue les héros parce qu’on est lâche et les saints parce qu’on est méchant. On joue les assassins parce qu’on meurt d’envie de tuer son prochain, on joue parce qu’on est menteur de naissance”. Référence: Kean, 1954.
Tant et si bien que le roman, traduit en anglais, fait remonter le mot “héros” dans le titre:
L’exergue devient:
“We play the part of heroes because we’re cowards, the part of saints because we’re wicked: we play the killer’s role because we’re dying to murder our fellow man: we play at being because we’re liars from the moment we’re born.”
En réserve pour plus tard:
- la langue anglaise qui ajoute “part” et “role” pour traduire la citation de Sartre
- les réflexions sur l’héroïsme dans The discreet hero. Par exemple, cette phrase, léguée en héritage au “héros” par son père: “Son, never let anybody walk all over you”
- la préface de Vargas Llosa au roman de Joao Guimaraes Rosa, Grande Sertao: Veredas. Les trois lectures d’un grand roman: aventure de western, labyrinthe verbal et cathédrale pleine de symboles
- Vargas Llosa cité dans les listing des “Panama papers”: personnage du Grande Sertao? héros paradoxal? grand artiste, moraliste et aventurier?
Trump: Hero / Celebrity
“Le héros se distinguait par ses réalisations; la célébrité par son image ou sa marque commerciale. Le héros se créait lui-même; la célébrité est créée par les médias. Le héros était un grand homme; la célébrité est un grand nom.”
(“The hero was distinguished by his achievement; the celebrity by his image or trademark. The hero created himself; the celebrity is created by the media. The hero was a big man; the celebrity is a big name”.)
Lorsqu’il cite cette phrase d’un livre de 1961 dans un article récent du Wall Street Journal, l’auteur de l’article entend soutenir sa thèse principale:
Trump est une célébrité, pas un héros.
De fait, Trump est le roi des “staged events”. Il est une bête de télévision (cf. le reality-TV Show “The Apprentice”). “Je m’adresse aux fantasmes et aux rêves des gens”, confirme le candidat à la Maison Blanche dans The Art of the Deal, 1987. Il montre de lui “a character he has chosen to play”, insiste l’auteur de l’article du Wall Street.
OK. Mais, à vrai dire, dans cette opposition du héros et de la célébrité, je ne vois pas bien pourquoi les deux versants ne seraient pas cumulables: pourquoi les réalisations n’iraient pas avec l’image des réalisations (les deux aspects, certes, différents, mais nullement opposables en principe).
Du point de vue de la Matrice du Héros, je dirais plutôt que le versant “bête de scène”, reality show, jouer un personnage, est intégré dans la dimension de ROL (prise de rôle) du héros moderne. Il est possible alors de reconnaître que Trump force le trait, surjoue le personnage, accentue le rôle (c’est le cas de le dire). Mais, nullement qu’il serait dans une espèce de rupture avec le modèle du héros moderne.
En réserve, pour plus tard:
- Le lien avec la réalité est “ambiguë” (le héros moderne ne l’est-il pas aussi?)
- Le vocabulaire de l’auto-contradiction: “Yes. There is a team. Well, there is not a team” (Trump)
- La notion de “manufactured image”
- “I call it truthful hyperbole”, Trump, à propos de sa méthode de vente qui consiste à tout grossir (cf. son “Think Big and Kick Ass in business and life”).
Références:
L’article est de L. Gordon Crovitz, “Donald Trump, Celebrity Politician”, Wall Street Journal, 15 Mars 2016.
En tête, la citation est de Daniel Boorstin, The image: A Guide to Pseudo-Events in America, 1961.
Les illustrations sont tirées de D. Trump, Think Big, Make it Happen in Business and Life, 2007, page de couv’ et page de titre du chapitre 10.