Vargas Llosa et le héros. “On joue les héros parce qu’on est lâche” (Sartre)
Mario Vargas Llosa, Nobel 2010, publie dans La Pleiade. Deux volumes sortent le 24 mars 2016. Il est le premier romancier non Français à entrer de son vivant dans la prestigieuse collection de Gallimard.
Son dernier roman, 2013, affiche le mot “héros” en frontispice: El héroe discreto, Un héros discret, The Discreet Hero.
La figure du héros intéresse Vargas Llosa. Dès son deuxième roman, La ciudad y los perros, La ville et les chiens, paru en 1962, qui lui apporte la célébrité, il donne en exergue cette citation de Jean-Paul Sartre:
“On joue les héros parce qu’on est lâche et les saints parce qu’on est méchant. On joue les assassins parce qu’on meurt d’envie de tuer son prochain, on joue parce qu’on est menteur de naissance”. Référence: Kean, 1954.
Tant et si bien que le roman, traduit en anglais, fait remonter le mot “héros” dans le titre:
L’exergue devient:
“We play the part of heroes because we’re cowards, the part of saints because we’re wicked: we play the killer’s role because we’re dying to murder our fellow man: we play at being because we’re liars from the moment we’re born.”
En réserve pour plus tard:
- la langue anglaise qui ajoute “part” et “role” pour traduire la citation de Sartre
- les réflexions sur l’héroïsme dans The discreet hero. Par exemple, cette phrase, léguée en héritage au “héros” par son père: “Son, never let anybody walk all over you”
- la préface de Vargas Llosa au roman de Joao Guimaraes Rosa, Grande Sertao: Veredas. Les trois lectures d’un grand roman: aventure de western, labyrinthe verbal et cathédrale pleine de symboles
- Vargas Llosa cité dans les listing des “Panama papers”: personnage du Grande Sertao? héros paradoxal? grand artiste, moraliste et aventurier?
The revenant
Vu, hier, dimanche de Pâques, The Revenant, dont j’ai une lecture de conte païen-moderne plutôt que de mystère de la Résurrection. Hugh Glass, le trappeur, n’est pas vraiment christique, malgré le message appuyé, au milieu du film, de l’église en ruine et de la peinture murale du Christ en croix.
Notre héros est un vrai canard qui emporte son cocon de plumes avec lui : malgré qu’il passe son temps dans la neige et les bouillons d’eau à quelques degrés à peine au-dessus de zéro, il semble ne souffrir du froid qu’au bout des doigts.
Mais un canard carnivore, sorte de paradoxe ambulant, qui mange la viande crue et le poisson vivant, la moelle de caribou et le sang de bison.
Bref, une sorte d’ornithorynque de bric et de broc, mi-palmipède du grand nord, mi-lynx des neiges. L’ornithorynque auquel, rappelons-nous, Umberto Eco consacra un livre :
“L’ornithorynque”, écrit-il, “est un étrange animal, qui semble avoir été conçu pour défier toute classification, qu’elle soit scientifique ou populaire” (p.62).
Et si le héros moderne défiait toute classification?
Hugh Glass. Résilient. Mi-homme, mi-bête. Collage (couturé, rapiécé). Omnivore comme l’ours qui le dépèce au début. S’identifiant si bien à son agresseur qu’il le devient – de plus en plus ours.
De plus en plus ours, il perd le langage articulé, se fond dans les carcasses étripées, devient fourrure, griffes.
Meurt trois fois : une fois par l’ours, une fois par abandon, une fois par ruse, quand à la fin il fait semblant d’être le mort pour piéger sa proie.
Et se venger.
Contrairement au Hugh Glass réel qui inspira l’histoire !
En réserve, pour plus tard :
- faire un parallèle avec Trois enterrements ?
- rapprocher du culte de Mithra ?
- passer au crible de la matrice du héros. Se rappeler les paradoxes : christique-païen. Du héros, son souffle rauque. Son trou dans l’oesophage. Ses deals. Sa rupture avec tous les clans (indiens, français, américains). Son côté “travailleur indépendant”. Qui s’allie avec un autre “travailleur indépendant” (l’Indien qui voyage seul, pendu par les Français). La mort comme “rôle”. Les viols : le sien par l’ours et celui de l’Indienne par le Français. Qui valent morts. Le sacrifice du fils.
Etonnante, la vie moderne – “Amazing thing, Modern Life”
“Amazing thing, modern life: I am going South, you’re going West, and we’re both in the same train!”
(“Etonnante, la vie moderne: je vais au Sud, tu vas à l’Ouest, et on se retrouve tous les deux dans le même train !”)
De la grande capacité du héros moderne à digérer les paradoxes !
Source: Hour of the Gun, 1967, de John Sturges. La réplique est de Doc Hollyday à Wyatt Earp, en 1.20.37 de l’édition DVD de 2008. Hour of the Gun est la suite de Règlement de comptes à O.K. Corral.