Macron chevalier !
Sur internet, sur les forum de discussion, sur les réseaux sociaux, c’est un raz-de-marée de moqueries ou d’indignations: on se fout de nous! le pouvoir leur monte à la tête! on est dans le pur spectacle! c’est la fin de la politique!
Macron lui-même parle d’erreur à propos de son portrait paru dans Paris Match (14 Avril 2016). Il accable sa femme: “Mon épouse, elle ne connaît pas le système médiatique, elle le regrette d’ailleurs profondément”. Promis: ils, le couple, ne recommenceront pas.
Du point de vue de la matrice du héros, le seul scandale est de traiter cette sortie médiatique comme un phénomène aberrant, un faux pas.
Nous sommes bien plutôt dans la reproduction d’un schème: le discours héroïsé (comme on dirait érotisé) de la modernité.
Macron chevalier, c’est tout sauf un hapax dans la vie politique française. C’est un lieu commun, une figure imposée.
Vous allez me dire: Mais quand même, “chevalier”, faut pas pousser!
Et je vous répondrai: Même chevalier, c’est du courant, du banal, du répété, de l’obligé.
Et je vous indiquerai l’étude d’Emmanuël Souchier, qui, en 1995, montre avec force citations tirées de la presse grand public combien l’imaginaire de la quête chevaleresque pénètre depuis longtemps (déjà!) les campagnes présidentielles en France (E. Souchier, “L’élection présidentielle: démocratie ou chevalerie?”, Communication & Langages, n°105, 1995) (texte intégral ici).
Je vous renverrai vers un livre de 2015, Médiéval et Militant, Penser le contemporain à travers le Moyen Âge, paru aux Publications de la Sorbonne.
Tommaso di Carpegna Falconieri y passe en revue toutes les reprises du Moyen Âge qui imprègnent le monde actuel. Il commente: “A travers cette clé, il s’agit d’examiner les orientations conceptuelles contradictoires d’un monde en crise”.
Alors, il faut bien plutôt penser que Brigitte Macron, en professeure de littérature exercée à l’analyse des textes, a parfaitement bien saisi le texte médiatique. Elle retranscrit un topos. Elle en reproduit la rhétorique. A la limite, on pourra dire que le pastiche est involontaire. Mais pas qu’elle n’a pas compris la musique.
Macron chevalier lui oppose-t-il un démenti public? Rien de plus normal. C’est l’ensemble des deux pièces du puzzle qui est moderne – le chevalier et le mea-culpa. Les deux laissent une trace, en forme de collage, dans l’espace médiatique. Au final, c’est cela le grand art de l’héroïsme moderne: distiller les injonctions paradoxales, confirmant le diagnostic de Falconieri (“les orientations conceptuelles contradictoires d’un monde en crise”).
En réserve, pour plus tard:
- Emmanuel Macron par Brigitte Macron est une mine pour la matrice du héros. Tous les critères de la matrice y sont…
- Exemple: le président potentiel y est présenté comme un “acteur” – ROL.
- Il est “d’une autre planète” – DIV.
- Tous les soirs, le couple “débriefe” leur journée – MIS.
- Etc.
- La journaliste de Paris Match de conclure le portrait: “Un couple d’intellectuels qui mesure mieux que quiconque le poids des mots et, aussi, celui du destin. Ça ne s’invente pas: ils se sont rencontrés dans une institution baptisée La Providence!” Encore un topos qui complexifie sérieusement l’image de notre modernité tardive.
Godefroy
Très intéressante remarque. Au fond, que Mme Macron ait voulu, que Paris Match ait (sur)obtenu ou que le système politico-médiatique emballé ait agi tout le monde et l’ait poussé à la séquence (faute ou pas faute, telle est la question) est effectivement moins intéressant que de décrire ce qui se donne à voir : quel archétype pour le politique du moment, quelles voies de l’héroïsation… Le système de contradictions qui fonde le personnage macronien (le gendre idéal vs le transgresseur ; l’homme-lige de Hollande vs celui qui dépasse le clivage droite-gauche…) est-il suffisamment catalyseur d’énergies pour déclencher une autonomisation politique ? Comment traiter la figure émergente de Brigitte Macron, non moins contradictoire (intellectuelle initiatrice vs oie blanche égarée en communication politique ; partenaire de débrief quotidien vs épouse dominée/énamourée dans son expression parismatchienne ; Amiennoise ou Parisienne…) ?