À partir de l’analyse de plus de 500 références de traités de management, de développement personnel, de philosophie morale et politique, de conseils pratiques, mais aussi de films populaires, de publicités et de discours médiatiques, en cherchant les points communs de tous les comportements valorisés par ces représentations en large circulation dans la société, j’aboutis à la description de six critères que les héros modernes se doivent de saturer en même temps s’ils veulent réussir : c’est ce que j’appelle la Matrice du héros.

Par héros modernes, il faut entendre potentiellement nous tous qui, dans nos sociétés, sommes confrontés aux injonctions de la réussite, au travail comme dans la vie personnelle. Partout, nous sommes appelés à nous dépasser. Or, le but, présenté à portée de main, n’est pas si facile à atteindre. Il est de participer à la fois à l’accomplissement de soi et au progrès général, ou pour le dire autrement, de contribuer à la définition moderne, à la fois individuelle et globale, du perfectionnement, du bonheur, de l’épanouissement.

Cette tâche est d’autant plus ardue que les injonctions de la vie réussie (celles de la Matrice du héros) sont en partie contradictoires entre elles. Le héros est confronté à des paradoxes. Sa capacité à faire avec ces paradoxes signe son héroïsme, aussi sûrement que la quête de missions difficiles. L’esprit héroïque qui plane sur la modernité peut ainsi être décrypté comme la saturation concomitante des six prescriptions de la Matrice du héros. Il dessine un champ comportemental auquel se conforment des sphères variées dans la société pour agir, créer, diriger, réformer, organiser, négocier et communiquer, pour capturer l’intérêt du public et des organisations, pour maintenir la tension (et l’attention) dans la lutte pour la reconnaissance, pour se projeter dans le futur.