Avatar pour sauver la planète #3
Le héros du film Avatar sauve la planète. Le pacte climatique de 2015 n’en est pas là.
Le Président Obama reconnaît, samedi 16 décembre, jour de la signature de l’accord universel sur le climat, que
“Nous ne pouvons nous satisfaire avec suffisance de l’accord d’aujourd’hui, le problème n’est pas résolu à cause de cet accord.”
Il ajoute :
“Mais ne nous trompons pas, l’accord de Paris pose le cadre durable dont le monde a besoin pour résoudre la crise climatique. Il crée le mécanisme, l’architecture pour nous attaquer au problème de manière efficace.”(1)
Pour que l’après COP21 ressemble plus à Avatar qu’à Mad Max.
Pour plus, voir : Avatar pour sauver la planète #2.
NOTE:
(1) “We cannot be complacent because of today’s agreement. The problem is not solved because of this accord. But make no mistake, the Paris agreement establishes the enduring framework the world needs to solve the climate crisis. It creates the mechanism, the architecture for us to continually tackle this problem with an effective way.”
Avatar pour sauver la planète #2
Les pays développés devant leurs contradictions
La perspective d’une catastrophe pour la planète et l’humanité devrait fortement mobiliser la structure héroïque de la modernité. De ce point de vue, les résultats de la COP21 sont insuffisants. Beaucoup de travail reste à faire sur tous les secteurs de la matrice du héros pour arriver à se dire, un jour, peut-être, que oui, c’était une good COP (cf. Good COP ? Bad COP ?)
Pour imaginer ce que sera la vraie mobilisation héroïque face aux risques avérés (réchauffement climatique, extinctions biologiques, pollution, épuisement des ressources), il n’y a guère que les fictions populaires qui nous offrent une vision pour nous projeter dans l’avenir. Il semblerait que les grands mythes contemporains aient pris acte de l’enjeu avec plus de célérité que l’économie et la politique.
Avatar au secours de la réalité
Prenons le film Avatar, par exemple. Bien sûr, aller chercher un film pareil – si fantaisiste – pour parler d’un sujet sérieux, provoque une sorte de honte ou donne le vertige. C’est immature, diront certains.
La fiction décale. Elle transpose. Elle met du grand spectacle. Oui, mais c’est une figuration sensible, une des rares dont nous disposons. Et par ailleurs, qui nous dit qu’Avatar n’est pas l’équivalent de ce que les tragédies ont pu être dans la Grèce Antique ?
Et qui nous dit que l’objectif des 1,5° de hausse de la température, visé par l’accord de Paris, n’est pas plus invraisemblable qu’un marine paraplégique qui sauve le monde ?
C’est un paradoxe vieux comme l’humanité : les tenants de l’imaginaire se montrent parfois plus réalistes sur les modèles d’action et d’interaction (la praxis) que les responsables les plus pragmatiques du jeu politique et des affaires, pris dans des contraintes qui les dépassent. Pour s’en rendre compte, il faut mettre entre parenthèses les froufroutements de la mise en scène, des costumes, des machineries, des psychologies particulières. Il faut en revenir à la structure des décisions humaines.
Peut-être, alors, Avatar redevient intéressant pour nous représenter l’esprit qu’il nous faudrait pour nous attaquer au problème de l’avenir de la planète. Pour entamer le changement. Impulser la créativité. Ouvrir des voies. Mieux comprendre les conditions de l’évolution. Mettre un grain de sable dans le système. Avec courage.
Avatar pousse la logique de l’héroïsme moderne jusqu’au paroxysme, comme si l’obsession du réalisateur avait été de donner à chacun des six critères de la structure du héros moderne une intensité inédite, tout en respectant un schéma bien ancré :
Le héros prend un rôle [ROL]
Avec Avatar, dès le titre, le spectateur s’attend à une version radicale de la prise de rôle. Le masque que revêt le héros devient le corps complet, un “avatar” dans lequel il est projeté. Acteur à l’extrême, le héros joue un autre être que lui-même. Il se métamorphose de pied en cape, il prend un physique étrange, extraterrestre – bleu, elfique, distendu en hauteur, jusqu’à ses oreilles qui s’élancent en pointes. S’il était un héros Grec de l’Antiquité, il aurait des ailes aux chevilles et volerait sur un char au firmament.
Le héros est tout entier en prise sur son intériorité [INT]
Le handicap moteur (il vit sur un fauteuil roulant) provoque chez lui un appétit de vivre. Certes, cet appétit va se tourner vers l’extérieur, grâce à son incarnation dans un “avatar”, mais il va aussi faire fonds de toutes ses possibilités intérieures. Il va vivre dans l’instant présent, au maximum de ses sensations, espérances, sentiments, décuplés en raison inverse de son handicap physique, et c’est cette force intérieure qui va lui donner des ailes, plus encore que la technologie. Le héros aime et agit d’autant plus intensément qui est poussé par la rage d’échapper aux strictes limites de ses protèses. Son intériorité s’étend au point d’entrer en communication avec l’âme sensible de la planète, dans une osmose des sensibilités personnelles et cosmiques.
Le héros est engagé dans une mission [MIS] qui atteint la démesure
Il s’agit ni plus ni moins de sauver une planète entière et tout son peuple. L’ambition est eschatologique. L’extermination possible d’un monde (le nôtre ?) est à l’horizon. Le héros est le sauveur d’un mode de vie global, respectueux tout à la fois de la nature et de la culture, dans une vision holiste.
Le héros est radicalement divergent [DIV]
Il se démarque de tous les camps qui s’opposent, aussi bien les natifs de la planète que les colonisateurs humains. Il bouleverse les habitudes établies de part et d’autre. Du coup, il se trouve rejeté par tous, y compris par sa compagne aimante (une native de la planète). Le héros est l’outsider parfait. Il innove dans la stratégie, dans la technologie, dans la méthode pour conduire les actions. Il se montre audacieux, anticonformiste, en écart avec tous. Il apprend à oser. L’éthique qu’il endosse est une sorte d’image en négatif des éthiques dominantes du monde contemporain : proche de la nature, anti-productiviste, contemplatif et dans un rapport sensitif avec l’environnement.
Le héros privilégie la coopération [COP]
Il cherche à sortir le monde des difficultés qui s’accumulent par les voies de la négociation. Bien que militaire de profession, il est négociateur dans l’âme. Par tous les moyens possibles, il évite la confrontation violente. Jusqu’au bout il tente de promouvoir le compromis entre les deux camps en présence. L’agression ne vient pas de lui. Il repousse la violence le plus longtemps possible. La reconnaissance pacifique des intérêts en présence a des chances d’aboutir.
Le héros acquiert des super-pouvoirs [SUP]
L’extrémisme des colonisateurs, technologiquement supérieurs et avides d’engranger le maximum de bénéfices, met en péril la coopération. Le héros n’a pas d’autre choix que le rapport de force. C’est là qu’il se montre compétitif à l’extrême. Il cumule les excellences. Il manifeste des qualités hors-normes. Il maîtrise les puissances naturelles, parvenant à dresser un animal mythique, ce qui lui permet d’acquérir le titre de roi (le roi de la planète – après le “roi du monde” de Titanic, le précédent blockbuster de James Cameron). Les superpouvoirs du héros lui confèrent un rôle éminent dans la nouvelle configuration qui se dessine. Du haut de son dragon, il conduit le monde vers un destin nouveau.
Par l’imagination, affronter la compléxité
Ce que le registre de la fiction nous apprend, ce n’est pas la domestication des dragons, ni l’alliance avec les elfes, ni la conduite de la guerre, ni même la fusion avec l’âme de la nature, mais c’est une certaine manière d’aborder le réel en tentant de concilier toutes les injonctions paradoxales de la complexité dans laquelle nous baignons.
Et cela, c’est très exactement la tâche qui attend l’humanité dans les décennies à venir, ce que la fiction peut aider à voir en face – une fois décapée la grosse machinerie hollywoodienne.
Avatar pour sauver la planète #1
Dans les allées de la COP21, 10 décembre 2015
Maintenant que l’accord universel sur le climat est signé, la tâche urgente est de voir comment le traduire en actions concrètes. Cela revient à se demander comment introduire tous les critères de la matrice du héros dans les couloirs des entreprises et des administrations. Comment transfigurer le mythe pour le rendre adéquat au monde réel. Comment passer du cinéma à la pratique, de la fiction héroïque à l’élan de créativité, d’audace et d’ambition dont le monde a besoin. Pour plus, lire :
Good COP ? Bad COP ?
Ces jours-ci paraissent au grand jour les résultats de la négociation sur le climat, dite COP21, “Conference of the parties”, dont l’intitulé, peu messianique, laissait augurer qu’un esprit de sérieux planerait sur les discussions.
Nul doute que ce fut le cas.
Le critère [COP] de la matrice du héros est saturé, du moins tout est fait pour nous en transmettre l’image: la gravité était de mise, l’interaction a eu lieu, elle a été nourrie, incessante, nuit et jour, les pourparlers ont été intenses, fortement procéduralisés, les points de vue se sont rencontrés, ils se sont confrontés, les politiques ont mouillé la chemise à haut niveau, un très grand nombre de pays étaient représentés, une certaine égalité formelle régnait, l’espace de travail avait été conçu pour, horizontal, décentralisé… Bref, l’esprit de négociation et de coopération [COP] a eu sa chance, à quoi le sigle nous préparait, qui mettait fortement l’accent sur le processus: on a bien eu ce qu’on nous annonçait, une “conference of the parties” (COP).
Maintenant, la question qui va nourrir les débats des jours et années prochaines est le jugement de l’histoire :
good COP ? or bad COP ?
Pour y répondre, il faudra envisager d’autres critères que la seule procédure de discussion. Il faudra faire tourner les cinq autres critères de la matrice du héros :
[DIV] : les solutions trouvées ont-elles été innovantes ? marquent-elles une rupture avec le business as usual ?
[SUP] : comment se sont soldés les rapports de force ? y a-t-il eu des gagnants et des perdants ? qui ? avec quelles suites ?
[MIS] : l’objectif de deux degrés de hausse est-il tenable ? et gérable dans ses conséquences même s’il est tenu ?
[ROL] : quelle est la part de mise en scène pour les opinions publiques ? de dramaturgie pour les acteurs eux-mêmes ?
[INT] : comment toute la perspective est-elle vécue intérieurement par les “parties” ? celles présentes à la table ? et celles, hors table, absentes, non visibles, discrètes ?
Il nous faudra évaluer les avancées. Voir les insuffisances. Vérifier si la promesse a été tenue, non pas tant sur le sérieux du processus “Conference of the parties”, que sur les engagements et leur mise en oeuvre.
Les médias bruissent déjà de bilans contradictoires.
Courage #4. Le colibri.
En pleine COP21, à Paris, de nuit : une terrasse vide, tous volets fermés, est illuminée.
C’est comme ça tous les soirs, pendant des heures, me dit une lycéenne. Toute cette énergie dépensée pour rien, c’est du gâchis, l’image de l’inconscience dans les pays développés.
Je lui dis : C’est dommage, je ne peux pas mettre ça sur heromatrix, parce que c’est vraiment le contraire de l’héroïsme.
Oui, dit la lycéenne, le héros, ce serait le colibri qui dégommerait les huit spots de lumière avec son bec, ou qui collerait un mot en bas de l’immeuble, pour dire qu’il n’est pas d’accord.
Sa mission : sauver la planète.
Sa divergence : il dit d’arrêter avec les habitudes désastreuses.
Sa coopération : il laisse une chance à la discussion.
Son super-pouvoir : il prend son courage à deux mains et le risque de déplaire.
Son intériorité : il fait confiance à sa colère intime.
Son rôle : colibri !
Au colibri, Patrick Chamoiseau a consacré un roman de haute volée, « Les neuf consciences du malfini », Gallimard, 2009. J’y reviendrai…
Courage #3. Vertu cardinale des temps difficiles.
L’actualité, de concert avec les publicités sur les murs du métro, tisse l’horizon d’un monde dangereux. La communication la plus récente surfe sur l’un des six critères de la matrice du héros : l’appel à un pouvoir personnel qui résiste, qui doit sauver sa vie, la sienne et celle de l’espèce, et cultiver une forme de supériorité dans l’adversité [SUP]. Le courage est de rigueur, comme dans la grande banque (cf. Le nouveau modèle de leadership à la Société Générale, heromatrix.com, 25 Novembre 2015). Tout y concourt : les dérèglements de la nature, de la politique et de l’amitié.
La COP21 : courage ! la vague du futur nous talonne, elle peut nous emporter en tant qu’espèce !
Face au terrorisme, l’état d’urgence : tous résistants !
Et le cinéma qui reflète un drôle de monde :
Mais le cinéma parle-t-il de la réalité ? En tout cas le film prend-il pour référence un Londres qui n’est pas qu’imaginaire :
Et puis, le lecteur de l’affiche lit un mot d’ordre, en gros, en rouge, qui correspond à un ethos dont le sens, même si on le réfute, ne vient pas que du vase clos – tout autre – de la fiction. L’injonction est là :
Même quand il est fait référence à un autre film, où l’art cite l’art, c’est pour nous ramener vers Wall Street, qui n’est pas qu’un produit de l’art :
Courage #2. Alimente ton blog !
La semaine dernière, j’ai mis en ligne le premier article de ce blog, intitulé Courage !, qui analyse l’interview de Frédéric Oudéa, le DG de la Société Générale.
Comme souvent, j’ai l’esprit d’escalier : c’est sans doute pour cette raison que je suis plus à l’aise dans le métier de chercheur – qui met parfois trois ans à publier un article – que comme blogueur affûté pour réagir à l’actualité.
Donc, suite à la mise en ligne de Courage !, je suis pris d’une curiosité. J’ouvre le dictionnaire au mot Courage. Je lis : force morale, disposition du cœur, fermeté devant le danger. Prendre son courage à deux mains : se décider malgré la difficulté, la peur, la timidité.
Je me dis que j’aurais pu conclure mon article de la semaine dernière par une note d’humour, du genre : Toi qui es timide, y-a plus à reculer, prends ton courage à deux mains et envoie ton CV à Oudéa.
Je me dis aussi que pour moi, Courage ! ça veut dire démarrer ce blog. Pour en écrire le premier article, qui ouvre la voie aux articles suivants – qui seront plus courts, promis, ce premier opus est beaucoup trop long, me dit mon coach – il a fallu que j’applique moi-même la matrice du héros, que je me dise Allez ! c’est dur, mais vas-y :
fais un article en plein dans le cadre de ton travail de chercheur [MIS],
d’un ton inhabituel pour les canons de la recherche [DIV],
ouvre des marges de discussion sur des sujets importants, penses-tu, pour beaucoup de monde dans la société [COP],
n’aie pas peur d’être un peu impertinent à l’égard d’une figure médiatique, un grand patron qui donne des interviews d’une pleine page dans Le Figaro [SUP],
sur des sujets qui te passionnent [INT],
et où tu te lances dans un rôle, blogueur, avec lequel tu n’es pas du tout à l’aise, où il faut que tu apprennes tout de zéro [ROL].
Alors, oui, le mot s’impose : Courage ! Et en plus, si tu écoutes ton coach, il va falloir que tu alimentes la bête avec régularité.