Avatar pour sauver la planète #2
Les pays développés devant leurs contradictions
La perspective d’une catastrophe pour la planète et l’humanité devrait fortement mobiliser la structure héroïque de la modernité. De ce point de vue, les résultats de la COP21 sont insuffisants. Beaucoup de travail reste à faire sur tous les secteurs de la matrice du héros pour arriver à se dire, un jour, peut-être, que oui, c’était une good COP (cf. Good COP ? Bad COP ?)
Pour imaginer ce que sera la vraie mobilisation héroïque face aux risques avérés (réchauffement climatique, extinctions biologiques, pollution, épuisement des ressources), il n’y a guère que les fictions populaires qui nous offrent une vision pour nous projeter dans l’avenir. Il semblerait que les grands mythes contemporains aient pris acte de l’enjeu avec plus de célérité que l’économie et la politique.
Avatar au secours de la réalité
Prenons le film Avatar, par exemple. Bien sûr, aller chercher un film pareil – si fantaisiste – pour parler d’un sujet sérieux, provoque une sorte de honte ou donne le vertige. C’est immature, diront certains.
La fiction décale. Elle transpose. Elle met du grand spectacle. Oui, mais c’est une figuration sensible, une des rares dont nous disposons. Et par ailleurs, qui nous dit qu’Avatar n’est pas l’équivalent de ce que les tragédies ont pu être dans la Grèce Antique ?
Et qui nous dit que l’objectif des 1,5° de hausse de la température, visé par l’accord de Paris, n’est pas plus invraisemblable qu’un marine paraplégique qui sauve le monde ?
C’est un paradoxe vieux comme l’humanité : les tenants de l’imaginaire se montrent parfois plus réalistes sur les modèles d’action et d’interaction (la praxis) que les responsables les plus pragmatiques du jeu politique et des affaires, pris dans des contraintes qui les dépassent. Pour s’en rendre compte, il faut mettre entre parenthèses les froufroutements de la mise en scène, des costumes, des machineries, des psychologies particulières. Il faut en revenir à la structure des décisions humaines.
Peut-être, alors, Avatar redevient intéressant pour nous représenter l’esprit qu’il nous faudrait pour nous attaquer au problème de l’avenir de la planète. Pour entamer le changement. Impulser la créativité. Ouvrir des voies. Mieux comprendre les conditions de l’évolution. Mettre un grain de sable dans le système. Avec courage.
Avatar pousse la logique de l’héroïsme moderne jusqu’au paroxysme, comme si l’obsession du réalisateur avait été de donner à chacun des six critères de la structure du héros moderne une intensité inédite, tout en respectant un schéma bien ancré :
Le héros prend un rôle [ROL]
Avec Avatar, dès le titre, le spectateur s’attend à une version radicale de la prise de rôle. Le masque que revêt le héros devient le corps complet, un “avatar” dans lequel il est projeté. Acteur à l’extrême, le héros joue un autre être que lui-même. Il se métamorphose de pied en cape, il prend un physique étrange, extraterrestre – bleu, elfique, distendu en hauteur, jusqu’à ses oreilles qui s’élancent en pointes. S’il était un héros Grec de l’Antiquité, il aurait des ailes aux chevilles et volerait sur un char au firmament.
Le héros est tout entier en prise sur son intériorité [INT]
Le handicap moteur (il vit sur un fauteuil roulant) provoque chez lui un appétit de vivre. Certes, cet appétit va se tourner vers l’extérieur, grâce à son incarnation dans un “avatar”, mais il va aussi faire fonds de toutes ses possibilités intérieures. Il va vivre dans l’instant présent, au maximum de ses sensations, espérances, sentiments, décuplés en raison inverse de son handicap physique, et c’est cette force intérieure qui va lui donner des ailes, plus encore que la technologie. Le héros aime et agit d’autant plus intensément qui est poussé par la rage d’échapper aux strictes limites de ses protèses. Son intériorité s’étend au point d’entrer en communication avec l’âme sensible de la planète, dans une osmose des sensibilités personnelles et cosmiques.
Le héros est engagé dans une mission [MIS] qui atteint la démesure
Il s’agit ni plus ni moins de sauver une planète entière et tout son peuple. L’ambition est eschatologique. L’extermination possible d’un monde (le nôtre ?) est à l’horizon. Le héros est le sauveur d’un mode de vie global, respectueux tout à la fois de la nature et de la culture, dans une vision holiste.
Le héros est radicalement divergent [DIV]
Il se démarque de tous les camps qui s’opposent, aussi bien les natifs de la planète que les colonisateurs humains. Il bouleverse les habitudes établies de part et d’autre. Du coup, il se trouve rejeté par tous, y compris par sa compagne aimante (une native de la planète). Le héros est l’outsider parfait. Il innove dans la stratégie, dans la technologie, dans la méthode pour conduire les actions. Il se montre audacieux, anticonformiste, en écart avec tous. Il apprend à oser. L’éthique qu’il endosse est une sorte d’image en négatif des éthiques dominantes du monde contemporain : proche de la nature, anti-productiviste, contemplatif et dans un rapport sensitif avec l’environnement.
Le héros privilégie la coopération [COP]
Il cherche à sortir le monde des difficultés qui s’accumulent par les voies de la négociation. Bien que militaire de profession, il est négociateur dans l’âme. Par tous les moyens possibles, il évite la confrontation violente. Jusqu’au bout il tente de promouvoir le compromis entre les deux camps en présence. L’agression ne vient pas de lui. Il repousse la violence le plus longtemps possible. La reconnaissance pacifique des intérêts en présence a des chances d’aboutir.
Le héros acquiert des super-pouvoirs [SUP]
L’extrémisme des colonisateurs, technologiquement supérieurs et avides d’engranger le maximum de bénéfices, met en péril la coopération. Le héros n’a pas d’autre choix que le rapport de force. C’est là qu’il se montre compétitif à l’extrême. Il cumule les excellences. Il manifeste des qualités hors-normes. Il maîtrise les puissances naturelles, parvenant à dresser un animal mythique, ce qui lui permet d’acquérir le titre de roi (le roi de la planète – après le “roi du monde” de Titanic, le précédent blockbuster de James Cameron). Les superpouvoirs du héros lui confèrent un rôle éminent dans la nouvelle configuration qui se dessine. Du haut de son dragon, il conduit le monde vers un destin nouveau.
Par l’imagination, affronter la compléxité
Ce que le registre de la fiction nous apprend, ce n’est pas la domestication des dragons, ni l’alliance avec les elfes, ni la conduite de la guerre, ni même la fusion avec l’âme de la nature, mais c’est une certaine manière d’aborder le réel en tentant de concilier toutes les injonctions paradoxales de la complexité dans laquelle nous baignons.
Et cela, c’est très exactement la tâche qui attend l’humanité dans les décennies à venir, ce que la fiction peut aider à voir en face – une fois décapée la grosse machinerie hollywoodienne.